Ils sont tous les deux rentrés dans la rame à Hôtel de Ville. La jeune femme avait un beau regard vague. Elle s’est adossée à la porte du fond. J’y étais déjà. Chaque fois que nos épaules se touchaient, au démarrage du métro, je le ressentais comme une élection. Elle a eu un geste doux – sa main sur l’épaule de son compagnon qui se tenait à la colonne centrale et dont le sac à dos parfois froissait les pages de mon livre, pour lui signaler qu’ils devaient bientôt sortir. Il avait un profil d’aigle et ne cessait de jeter des regards plein de curiosité sur ce qui se passait autour de lui, comme un enfant tout au spectacle du monde, hors de lui et buvant des yeux ce nouveau spectacle, celui du métro et de ces occupants aux visages fermés.
Ils n’auraient pas dû être là – c’est ce que je me disais – ils n’étaient pas de la même qualité que nous autres, entassés dans la rame. Plus nobles, comme d’un autre espace-temps ; plus calmes même si plus agités (pour lui seulement car rien ne semblait mouvoir la jeune femme ni son corps, à part ce léger balancement quand nous quittions la station, ni son regard – il flottait au fond d’une visage absolument paisible – et j’ai songé un moment que sur ses pupilles se projetait le paysage intérieur dans lequel elle se noyait et qu’un peu d’audace me permettrait de m’y noyer moi-aussi, de cette audace que je n’ai jamais et de beaucoup d’insistance aussi). Puis, lui, doucement anxieux, elle, doucement close, ils sont descendus à Champs-Elysées. Le trou qu’ils laissèrent dans notre masse resta vide pendant plusieurs stations, personne ne songeant à le combler. Il a fallu le rush de Charles-de-Gaulle pour gommer cette irrégularité.