De quel Paris s’agit-il, le lendemain du 13 novembre 2015 ?

La photographie qui illustre ce billet représente un des Paris que j’aime. Celui des après-midis d’hiver, au ciel clair, quand, avant de disparaître, le soleil réveille les murs de la ville, avec un ocre pulpeux qui les fait palpiter

Et comme, ici, c’est l’Institut d’archéologie qui accroche les derniers rayons du jour, cette image va doublement à mon coeur. Car elle représente, aussi, le Paris des idées claires, celui des savants à la curiosité insatiable et amicale. Ils voulaient connaître les autres mondes, ils désiraient savoir et revenaient transformés des paysages lointains. Quel raccourci, ces créneaux résolument assyriens, dans le ciel de Paris et attendris par son soleil ! Quand la ville vient tout juste d’être frappée, hier 13 novembre 2015 par des affiliés d’un groupe qui pousse sa détestation puérile des autres jusqu’à les poursuivre dans le passé, à détruire leurs villes mortes, à anéantir leur souvenir aux lieux mêmes qui servirent de modèle à ce bâtiment.

Mais il y a bien d’autres Paris ! Tant de paysages qui nous plaisent ou qui nous heurtent ! Qui, à mesure que nous les visitons, changent ; autant de ce mouvement naturel des villes à se réformer sans cesse, que de cet échange réitéré d’eux à nous, de nous à eux, si bien que nous les voyons autres, qu’ils nous modifient et que ce sont à chaque fois des nouveaux « nous » qui les accueillent en eux.

C’est de ces Paris-là, de leur fabrication permanente, que ce blog devrait parler.

Bien sûr, les évènements d’hier, ces tueries coordonnées qui cherchent l’effroi, donnent un violent coup de gîte à ce qui devait être un voyage dans la ville et en soi, un esquif léger sur le cours des souvenirs. Cela tire, chacun selon son tempérament,  hors de soi, sous un soleil, violemment noir,  qui brûle les yeux et qu’on aimerait bien éviter, même oublier. Mais non, c’est là, bien là, et semble-t-il pour longtemps ! Et si l’on se souvient bien, quand des nouvelles d’horreurs semblables arrivaient de ces contrées lointaines – de moins en moins lointaines – n’y avait-il pas  en nous ce double mouvement, celui de l’inquiétude et la certitude que cela ne s’arrêterait pas de sitôt, et de l’autre côté celui du déni, car nous ne savons pas vivre dans la conscience du désastre. Et donc, l’un après l’autre, un état d’angoisse succédait au mouvement de vivre et vice et versa. Et dans cet état d’angoisse, il fallait trouver une raison, comprendre, croire maîtriser ; alors n’avons-nous pas tenter des dialogues impossibles, en nous, entre ce que nous sommes et ce que nous pensions qu’il pourrait être, l’autre, cet implacable combattant qui ne veut plus notre perte car, pour lui,  nous avons déjà cessé d’exister, nous ne sommes que des avatars qu’il faut effacer. Et ce qu’il cherche plutôt que notre anéantissement, n’est-ce pas le sien propre, perpétuel, dans l’incandescence du regard de Dieu, évadé enfin de ce fléau, la vie ; et d’aussi se rémunérer, en avance d’hoirie (l’hoirie de lui-même), de l’or louche de la reconnaissance, celle enamourée qu’il se donne à lui-même et que lui paient ses frères, celle fantasmée de tous ceux qui l’ont précédé. N’avons-nous jamais tenté ces dialogues, et passer du langage de la raison à celui de l’effroi, de celui de la repentance à celui de la malédiction. Et tantôt il nous semblait que nous l’amenions à reddition, l’implacable autre ; puis nous reculions, sentant que rien ne pouvait toucher celui qui n’aime pas être ici…

A quoi bon, ce ne sont que des mots – D’ailleurs ça a toujours été des mots ! Et parce que, quoique j’en dise, ou en confirmation de ce que je dis, il y a eu très peu de moments depuis un an où je n’ai essayé de comprendre, soit en nouant ce dialogue intérieur et absurde, soit en essayant de retenir ce qui vraiment vaut de cette civilisation qu’ils haïssent et veulent détruire, je reprends ce que j’écrivais en rêvassant dans le train qui m’amenait un dimanche  matin, au mois de mai cette année, vers mes parents âgés dans leur ville de province – Et cela me ramène aussi à ce que je disais au début de ce billet, de ce Paris des idées claires et des vivant savants – Voilà ce que j’écrivais :

 « Je recommence la lecture d’un livre de Jacques Roubaud, « L’invention du fils de Leoprepes » sous-titré « Poésie et mémoire ». Dans ses premières pages, après qu’il a traduit, en gardant volontairement l’ordre des mots de l’original latin, un conte de Cicéron dont la dernière phrase est « Par cet évènement éclairé Simonide sut que l’ordre est ce qui principalement donne lumière à la mémoire », Roubaud présente un ouvrage du moine Filippo Gesualdo, intitulé « Plutosofia », édité en 1592, et  qui enseigne l’art de la mémoire. J’imagine comment, irrigué de mille travaux repris sans cesse depuis presque 2000 ans, d’autant d’enseignements de maître à élève,  longue chaîne de chuchotements et de citations, échangés dans l’ombre des cellules ou sous les hautes voûtes des librairies, ce sujet qui baignait sa vie et peuplait de rêves ses sommeils avait, comme d’une source, finalement coulé des pensées du frère Gesualdo pour s’épancher sur les feuilles de son manuscrit. Or c’est à cela que je suis mené, à l’idée de la solidarité dans le temps et dans l’espace européen, d’esprits tâtonnant, très sûrs de peu de choses – des grands mots loin du tangible – et, pour tout le reste, affamés de connaissances et d’échanges, acharnés au travail à en perdre la vue, modestes, consentant aux petits pas, soudain visionnaires en l’ignorant quand ailleurs obtus, là où ils croyaient qu’ils savaient – Derrière  le noir et blanc des dogmes, le soleil aveuglant d’Aristote, les orgues de la foi, la petite tapisserie tissée, détissée, retissée au long de tant de siècles du vrai savoir, celui qui ne dure pas. Et encore une fois, car malheureusement ils m’obsèdent, je mets cela en regard de la folie meurtrière des terrifiants enfants du Moyen-Orient, de leur idolâtrie du noir et blanc, de leur reddition face au soleil aveuglant du Un et du Simple.. »

Et parce que ce qui est dit plus haut n’est rien dire, simplement un divertissement à la tristesse qui me saisit, je sais qu’il faudra aussi que je revienne à ce grand enjeu de maintenant qui nous saisit par les cheveux, et tout naturellement, car il a ses traces dans ce Paris et ses paysages dont je veux parler.

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