RER, deux épées sur un blason

C’était en 1995 ou, au plus tard, en 1996. J’avais pris le RER A pour aller au travail. Ou bien j’en revenais et alors j’étais monté à la défense… oui, c’est cela, d’où la fatigue ! Et puis non, à cette époque je travaillais près de Nation.. Voilà ! J’allais chez un client et c’était le matin, car je me rappelle que j’avais très vite imaginé qu’elle sortait d’une nuit d’amour. Il y avait en elle trop de cet abandon, de cette manière de ne pas être là, pour ne pas comprendre qu’elle suivait une trajectoire qui la ramenait d’un autre monde, qui ne l’en avait pas encore complètement extraite. Elle laissait à ce voyage, qu’elle faisait les yeux fermés, le soin d’assurer son atterrissage dans notre époque, notre drôle d’époque.

C’était la fin du printemps, il faisait suffisament doux pour qu’elle garde nus ses bras et ses épaules. Elle était habillée de noir, pantalon et débardeur, l’épaule droite appuyée contre la paroi, la tempe à la vitre. Sous la chevelure, noire elle aussi, il y avait la large plage du front au-dessus des sourcils, légèrement recourbés, et j’ai tout de suite, regardant ce front, pensé aux mots « sable du blason » ; me revenaient à l’esprit des descriptions d’héraldique lues dans une encyclopédie et indéniablement les sourcils figuraient deux épées posées sur ce sable ; ou pourquoi pas deux cimeterres, ce qui en accroissait l’exotisme.

J’avais assisté, peu de temps auparavant et cette fois dans le métro, à l’étrange scène d’un mendiant aveugle assis sur un strapontin et comptant dans le creux de sa main les pièces qu’il avait gagnées. Chaque fois qu’il tombait sur une petite pièce, une jaune de peu de valeur, il grognait de plus en plus en fort et finissait par la jeter au sol, rageusement. Tout cela faisait écho, des mots ont commencé à parler dans ma tête, l’idée de Sofia de l’autre côté de l’océan m’a, sans doute, donné le cœur pour les écrire. Et puis un jour, longtemps après, je les ai repris. Soigneusement alignés dans des petites boîtes de 6 pieds, empilant moins soigneusement ces mêmes boîtes en strophes d’inégales longueurs.

Y a des gens – des visages
– Je ne les juge pas –
Sont tout remplis d’images
Dans leur porte-monnaie
Sonnent des pièces jaunes
des dix francs bicolores,
Certains ont des trésors 
De sequins qui cliquettent 
De bronze et de vermeil.
Ils ne m’invitent pas.

Il y a un visage
C’est une Annonciation
Ses sourcils sous son front
Epées sur  un blason.
Ses lèvres un sourire
J’y glisse le regard
mais il ne passe pas
le guichet de l’émail.

Pour alanguir sa tempe 
– comme ça – sur la vitre
Sans une protection
Ni regard ni tension,
Faut-il au dedans d’elle 
Un rêve qui s’exauce
Ou bien les froufrous d’ailes 
Du début d’un amour !

Je repense à Bodard
Lui qui faisait d’un corps
L’incomparable ouvrage 
D’un ferronnier des chairs
Et comme les cils tirent
Dans une ondulation
Ses paupières en haut
Je revois le bourdon
Sur la fleur au cœur jaune
Il frottait sa bedaine
Aux pinceaux-étamines 

J’en convoque l’obscène 
– Pollen sur abdomen –
Et j’ôte tout vouloir
A l’onde du regard,
Rêve juste au mot miel
Ses lettres qui s’épellent
Comme gouttes qui perlent 
Aux quatre coins des yeux
qu’elles maintiendraient clos.

Ce contenu a été publié dans Métro, Poésie, RER, Transports, Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *