Lac Daumesnil

Marche à partir de 16h20 vers le lac Daumesnil – Une chaleur de plomb et un soleil implacable. Pourtant ces courant d’air ténus moqueurs qui entraînent des feuilles mortes, les plus petites, dans des courses tourbillonnantes au ras du sol. La radio africaine au bord de l’eau qui s’enlace à des voix vivantes, africaines aussi, qui viennent d’un bosquet dont l’ombre est le refuge d’une famille de canard. Un roulement de gravier que remuerait doucement la mer, il sort de la bouche d’une sri-lankaise, pour se glisser avec amour, semble-il, dans son téléphone. La course toujours déçue du petit chien à tête de chauve-souris, que les oies et les cygnes fuient, avec qui il aimerait tant jouer. La risée soudain qui plisse l’eau et emporte les barques endormies où, malgré toutes les injonctions, c’est un homme, encore, qui tient les rames. L’oiseau dont le vol perpendiculaire racle les cailloux du chemin sur l’ile de Reuilly. La pelouse grillée par l’été d’où jaillissent les grands arbres dont le roux gagne les feuilles par leur bord, et, au milieu, royal, allongé sur sa serviette comme l’odalisque, un quinquagénaire chauve et torse nu. Un pré-ado qui reprend avec sa mère les jeux de sa jeunesse tendre et fait siffler d’un mouvement sec du poignet une branche de saule « maman regarde je fais mal à l’air ! » – Le bruit de succion émue de la rame sortant de l’eau, puis un arpège de notes claires : les gouttes qui glissent de la pelle et retournent au lac. Les femmes, toutes belles, qu’on suit du coin de l’œil et qu’on quitte, vite, pour ne pas peser. Et même les hommes, dont on trouve que certains sont gracieux. Assises sur 2 bancs alignés à la limite de la porte dorée, 8 femmes, âgées, chantant les louange d’une amie dont la vie fut difficile, chœur de drame très antique ; l’une a les mêmes sourcils que ma grand-mère, dessinés trop haut sur un visage très fardé, et un regard qui s’égare, longtemps, sur le mien ; une autre, port orgueilleux comme si elle voulait marquer que, tout de même, elle vaut plus haut que ses compagnes ; le turban orange autour de son chignon lui fait tiare de reine, au-dessus d’un regard oriental qu’à peine masquent des lunettes teintées ; à l’aller elles parlent parlent et, plus tard, quand je repasserai devant elles, se débanderont avec des au-revoirs vouvoyés, comme des hirondelles quittent leur fil. La gloriette, au-dessus de la grotte, vue, au loin, depuis le fond du lac où une barque blanche repose entre deux plots de pierres, et la ligne des grands arbres verts dont elle est l’avant-poste, et le vaste ciel au-dessus laissant pressentir, derrière l’image, un espace immense et les vents du large ; on sait pourtant qu’ils n’y sont pas, ou alors tellement plus loin.